Oceamex Project

Après 3 mois et demi de découverte de la construction durable en Océanie et au Mexique, le Projet Oceamex a désormais pour but de s'impliquer dans le management du développement durable en Europe.

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After 3 and a half months discovering sustainable construction in Oceania and Mexico, the Oceamex Project is now in a business development phase on the European sustainable development market.

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Pierre-Loïc Nihoul


mardi 3 juin 2008

Jean Carassus : "l’importance des sciences humaines dans la construction est souvent sous-estimée"

Source : Le Moniteur, 03-06-2008

A l'occasion des rencontres du PREBAT (Programme de recherche et d’expérimentations sur l’énergie dans le bâtiment) qui se tiennent actuellement à Perpignan, Jean Carassus, directeur du département Economie et sciences humaines au CSTB, nous livre les enseignements de sa récente étude socio-éco-technique intitulé "Comparaison internationale bâtiment et énergie", mené conjointement par 55 ingénieurs, économistes, sociologues de 12 pays différents.

En tant que Directeur du Pôle Economie et Sciences humaines du CSTB (Centre Scientifique et Technique du Bâtiment), quelle importance tiennent, selon vous, ces disciplines au sein du monde de la construction ?

L’importance des sciences humaines dans la construction est souvent sous-estimée. La technique est privilégiée par rapport à l’aspect économique et sociologique.
Pourtant, il me semble indispensable de les placer au même niveau, tout en redéfinissant bien leurs rôles respectifs. L’économie et les sciences humaines permettent de comprendre et de mesurer les enjeux sociétaux et la technique doit être non pas un but en soi mais l’outil à la hauteur de ses enjeux. C’est pourquoi, en tant que Responsable du Pôle Economie et Sciences humaines au sein d’un centre de recherche technique comme le CSTB, mon objectif n’est pas de m’appesantir sur le manque de place de la socio-économie mais de sensibiliser les acteurs du bâtiment, autour des grands enjeux auxquels nous avons à faire face (comme par exemple les gaz à effet de serre), afin d’avoir une approche globale des problématiques.
A ce titre, d’ailleurs, au lieu d’opposer les termes de sciences "dures"(technique, etc.) aux sciences "molles" (sciences humaines, etc.), il me paraît plus judicieux de juxtaposer les sciences "dures" et les sciences "douces", afin d’assurer leur interaction. De la même façon qu’un "software" et un "hardware" ne fonctionnent que s’ils s’avèrent complémentaire.
Cette complémentarité entre ces disciplines est d’autant plus essentielle que l’univers de la construction est complexe, de par d’une part la multiplicité de ces acteurs et d’autre part la grande diversité de l’offre et de la demande.

Cette démarche de complémentarité que vous prônez est celle que vous avez mise en pratique dans votre rapport en faisant travailler des binômes techniques et sciences humaines. Pouvez-vous nous éclairer sur ce travail?

Avec ce rapport de 900 pages nous avons voulu faire le point sur ce qui existe de plus abouti à l’échelle mondiale en matière d’économie d’énergie. Nous avons en effet distingué trois grands modèles de développement :
Tout d'abord, le modèle allemand, suisse et autrichien. Ce modèle est axé sur la réduction de la consommation du bâtiment en isolant et en profitant aux mieux des apports extérieurs et intérieurs de chaleur afin de quasiment pouvoir se passer de chauffage. C’est ce que les Allemands nomment "PassivHaus". La Suisse s’en est inspiré pour créer son label "Minérgie". Les Allemands ont ainsi apporté le concept et ses exigences, et les Suisses l’ont transformé en un label diffusable. A l’heure actuelle, une maison neuve sur sept en suisse et labélisée "Minérgie". Ce modèle est assez aisément transposable en France. Les régions françaises limitrophes (Alsace, Franche Comté, Languedoc Roussillon) se sont approprié le modèle en créant à leur tour le label "Effinérgie" propres aux exigences françaises (en déclinant des objectifs différents à atteindre adaptés à la plus grande variété de reliefs et de climats qu’en Suisse).

Il y a aussi le modèle espagnol. Dans une optique méditerranéenne, ce modèle n’est, lui, plus centré sur la problématique du chauffage mais sur celle de l’eau chaude. Ce recentrement sur l’ordonnance solaire qui met au jour une utilisation active du soleil vient compléter l’utilisation solaire seulement passive du concept allemand Cette ordonnance solaire oblige, à partir d’une certaine taille de permis de construire ou de réhabilitation, à utiliser le thermique solaire pour le chauffage de l’eau chaude.

Enfin, on trouve les modèles américain et japonais. Cet axe de développement est à la croisée des deux premiers car ces deux pays ont, dès le départ, combiné une amélioration de l’isolation en vue de la performance des logements avec une production solaire d’électricité. Ainsi, au Japon, où la problématique des pics de consommation sur le réseau électrique est forte, 160.000 ménages sont équipés de panneaux photovoltaïques. La transposition de ce concept en France est aussi tout à fait réalisable. D’ailleurs, dans le cadre du Grenelle de l’environnement, il pourrait exister d’ici 2020 une réglementation thermique en France, avec une obligation de construire des bâtiments à énergie positive.
Une autre approche intéressante est celle des Américains. La question énergétique n’y est en effet pas aussi prépondérante. Elle est couplée avec un modèle environnemental plus large, en voulant, par exemple, offrir un cadre de travail plus sain et stimulant pour les salariés des bâtiments tertiaires. Cette idée de voir l’économie comme un élément d’une approche environnemental plus large, en s’intéressant aux problématiques d’insertion du bâtiment dans le site, de choix des matériaux utilisés, de gestion des déchets, etc. est synthétisé dans le label LEED (Leadership in Energy and Environnemental Design). Cette idée a d’ailleurs reprise, lors du Grenelle de l’environnement avec la proposition du label HQEE (haute qualité énergétique et environnementale).

Aussi, nous avons voulu souligner un exemple danois. L’écoquartier de Vasterbro à Copenhague, auquel nous avons choisi de nous intéresser tout particulièrement dans notre rapport, est révélateur en la matière. En effet, les danois ont ouvert la voie à l’écoquartier de réhabilitation et non plus seulement du neuf. Cette réflexion a été reprise en France avec le projet d’un écoquartier de réhabilitation à Lyon.

A l'heure de la mise en oeuvre des objectifs du Grenelle de l'environnement, si vous aviez un message à faire passer aux professionnels de la construction, lequel serait-il ?

S’il ne fallait retenir qu’un seul élément, c’est que cette transposition d’expériences étrangères au modèle français est à l’origine d’un nouveau paradigme, qui bouleverse totalement le système de références des professionnels du monde du bâtiment. Elle n’est certes pas aisée, mais elle est une occasion exceptionnelle de valoriser les métiers et les compétences de tous les acteurs de la construction, qui se retrouvent au premier rang des enjeux de la planète. La coordination interprofessionnelle et l’implication des utilisateurs des bâtiments est la clé du succès pour s’approprier pleinement cette approche de haute qualité énergétique et environnementale.

Propos recueillis par Eric leysens